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19 septembre 2021
Certains dirigeants s’interrogent sur la cohésion de leurs équipes. Ils ont raison !
La prévisible généralisation du télétravail pourrait tuer le collectif si l’expérience individuelle – notamment par le rétablissement de l’équilibre vies personnelle et professionnelle – est de qualité supérieure au vécu dans l’entreprise.
L’avènement d’organisations de plus en plus réticulaires (géographiquement et métaphoriquement), où le travail se fait totalement ou partiellement à la maison ou dans des tiers-lieux, nécessite de s’interroger sur la nature de l’expérience proposée aux collaborateurs – dans et hors les murs – pour maintenir leur sentiment d’appartenance.
Je suis chez moi, rattachée à l’organisation par un fil. Mon lien est constitué d’une connexion internet, d’échanges virtuels avec mon manager et mes collègues, de temps solitaire de production et de restitution. Parfois, un accord d’entreprise définit les nouvelles conditions du contrat de subordination à mon employeur. Mes marges de manœuvre dans son application, comme la définition du « bien faire son télétravail » sont discutées (ou pas) avec mon manager et l’équipe. Le flux entre moi et la structure est plus ou moins fluide … et dépend, en grande partie, des talents, appétences, moyens, bref du leadership du manager (pouvoir d’agir + pouvoir de réussir).
Vu du ciel, je vois des appartements multifonctions ou des tiers-lieux qui hébergent des travailleurs, connectés à une centrale distributrice de missions, outils, moyens, informations, consignes, … Je vois un réseau établi entre une matrice et ses satellites en télétravail qui parfois communiquent entre eux.
Indéniablement, le télétravail satisfait à des besoins fondamentaux de santé, de bien-être, de cohérence de vie ; avantages que la société offre de moins en moins, au profit d’une territorialisation des activités économiques, décorrélée des modes « d’habiter le monde ». Il peut donc s’inscrire dans le développement de la performance d’une organisation, pour peu que les satellites ne quittent pas l’orbite organisationnelle. Ce mouvement permanent dedans/dehors pourrait menacer l’équilibre du système.
Il s’agit donc de considérer le mouvement comme mode opératoire du système. Ce qui maintient alors les satellites en orbite, c’est la qualité des flux d’échanges avec la matrice, mais aussi entre les satellites eux-mêmes.
Sans collectifs investis, une organisation ne peut maintenir ses positions et s’installe dans une surveillance mortifère d’indicateurs standardisés et individuels. Le futur s’envisage alors dans les reporting, véritables rétroviseurs de l’activité. Or le travail est organique, constitué de relations réelles, ici et maintenant, avec des gens réels, clients, fournisseurs, collaborateurs, …. Alors comment maintenir cette précieuse énergie des liens qui permettra de produire un nouvel équilibre entre le dehors et le dedans des organisations ?
Intéressons-nous à l’expérience du collaborateur depuis son tiers-lieu ou son salon. Le flux partant vers la maison mère est le résultat de son travail. Mais de quoi est constitué le flux en retour ? Quelle est la qualité des services apportés par la matrice ? Peut-elle être améliorée ? Comment ? Si les services sont de qualité (outils adaptés, pilotage vigilant et disponible, objectifs et consignes claires, …), alors la posture du collaborateur peut s’ajuster pour contribuer à faire de l’expérience de télétravail une réussite collective.
Chaque individu, pour se relier professionnellement, a besoin de partager un but commun et accepté avec le groupe. Les espaces de travail regorgent de signes et de propositions stimulant l’appartenance et le partage : affiches de communication, échanges informels, réunions d’équipe où l’énergie physique du collectif porte la réflexion, séance de sport, cafétéria, … Dans le huis clos de nos logements ces signes s’estompent. Quant aux tiers-lieux, ils affichent leurs propres signes à destination d’une communauté de clients, dessinant un nouveau cercle d’appartenance. Ce constat appelle plus de cohérence entre les messages diffusés sur les sites intranet ou par les managers et les actions concrètes menées au bénéfice de ces travailleurs satellisés.
Prendre conscience de la transformation nécessaire pour accompagner ce mouvement signifie d’aller au-delà de l’interrogation sur la culture. Bien entendu, les techniques et les processus, les façons de faire ou de contourner les règles sont revisités. Mais pour maintenir la cohésion du groupe dans une entreprise réticulaire, la raison d’être, les valeurs, comme les principes et l’éthique qui les sous-tendent doivent être profondément et sincèrement revisités par les leaders et leurs équipes.
Dans ce cadre, le lieu collectif de travail où sont effectuées les tâches non dématérialisées peut devenir l’incarnation de cette nouvelle matrice. Les collaborateurs devraient y vivre une expérience différente et complémentaire du télétravail. Tout en restant des lieux de production et de diffusion de produits, services, informations, sens, … Les entreprises pourraient devenir des territoires de production de valeur pour l’expérience collective.
Elles favoriseraient concrètement la créativité, en offrant des espaces et des expériences adaptés, pour contenir le groupe dans cet exercice énergétique, émotionnel et intellectuel qui s’épanouit dans la proximité à l’autre[1]. De ces nouveaux espaces de coopération émergerait l’innovation notamment organisationnelle.
Ce nouveau paradigme organisationnel appelle un pilotage qui n’est pas uniquement basé sur l’intelligence émotionnelle et la confiance, comme je le lis souvent. Injonction qui renvoie les managers à leur solitude et à leur seul pouvoir de réussir. Il implique de sortir du modèle managérial lui-même, pour concevoir collectivement et au regard des besoins et enjeux de l’organisation à un instant D de son Développement, le système de pilotage adéquat. Le foisonnement actuel des nouveaux modes de gouvernance est certainement le signe de l’épuisement et de l’inadaptation du modèle actuel, face à la complexité des situations à adresser et aux attentes humaines et sociétales.
Faire émerger une organisation réticulaire[2], claire sur sa contribution et prenant soin de ses liens avec ses membres et son écosystème sera peut-être le cadeau caché de la crise planétaire actuelle, si nous l’envisageons comme utopie créatrice pour ces temps incertains.
[1] Je parle ici de vrais espaces et temps de travail stimulants, connectés, informés, équipés, pas de babyfoot.
[2] Ce terme est déjà utilisé pour désigner des formes de coopération d’acteurs interdépendants dans un domaine, mais indépendants dans leurs formes juridiques et leur structure. Je l’applique ici à un groupe constitué et stable.